[Background]: Selath Idaho

Tout allait pour le mieux. Stroth était un riche commerçant, qui s’était intéressé aux productions de gaz de Sinuar très tôt, alors que celui-ci ne servait pas encore d’énergie, il y a sept ans environ. Après deux ou trois années de déboire, et suite à l’interdiction définitive du nucléaire comme énergie suite à l’explosion d’Atrain, la plus grande usine nucléaire de la planète, il avait fait fortune en un temps record. Depuis, en quatre ans, il possédait un empire économique titanesque, au point d’être considéré comme un des plus grands millionnaires de la planète (ce qui n’est pas peu dire, puisque cent unités de la monnaie actuelle pouvait faire tenir une famille durant un mois). Il adhérait au parti politique dictatorial, la Nouvelle Inquisition, qui était le plus influent à l’époque. Elle ne tolérait aucun être « non-pur », c’est-à-dire légèrement différent, ou déficient.
Comme Stroth se plaisait à dire lors des « fêtes » organisées dans sa station sous-marine, « Ma vie est une utopie à elle seule ! ». Il n’avait rien à se reprocher, la Nouvelle Inquisition non plus, et il s’en portait bien mieux !
Non. Ce qui avait tout bouleversé, c’était ce cargo. Une barge noire comme la cendre, qui était tombée des cieux. Elle s’était écrasée près de son vaisseau de croisière, en partance pour Sohee. Il avait ordonné à ses gardes du corps d’aller voir s’il n’y avait pas de survivants. Aussitôt, quatre chasseurs avait été expédiés vers la barge, Stroth et un ingénieur suivant dans un jet privé, au cas où une technologie qui échappait aux Sinuariens pouvait être découverte.

Lorsque enfin l’expédition arriva près de l’énorme cargo miraculeusement intact, ils ne purent pénétrer dedans qu’à l’aide d’explosifs, le mécanisme de sécurité étant intact. Alors, ce qu’il virent n’avait rien d’humain selon les critères de Sinuar : une centaine d’êtres pâles reposaient dans le convoi, tous morts. Une femme enserrait encore dans ses doigts effilés un carnet. Une fois que ses gardes eurent fait le tour de la barge pour s’assurer que rien n’était menaçant, Stroth entra à son tour. Il lut le carnet, écrit en basique intergalactique, prohibé par les Inquisiteurs depuis que les frontières de Sinuar se refermèrent. Apparemment, si l’ouvrage n’était pas un tissu d’inepties, la planète de ces êtres avait explosée. Et peu en aurait échappé.
Sa lecture de ce « Jeretlan Idaho » fut interrompue par ses gardes.
-Là ! Un survivant !
En effet, un enfant, semblant avoir dans les onze ans se redressait lentement. Il était vêtu d’un vêtement de tissu et un pantalon noirs, dont la texture contrastait fortement avec les cheveux blanc laiteux.
C’était étrange de lire un tel calme dans ses yeux, se dit Stroth. Oui, il en avait même quelque chose d’inquiétant. Ce n’était ni du sadisme, ni de l’effroi… Non, c’était de la détermination. Il savait ce qu’il devait faire et s’y était déjà résolu. Oui, il était probablement le dernier Aliot. Dommage que les albinos ne soient pas admis par la Nouvelle Inquisition. Car cet enfant était… Oui, Stroth pouvait le qualifier ainsi, cet enfant était magnifique.

-C’est un démon Pâle ! Abattez-le !
Démon Pâle était le nom donné aux albinos, discriminés également. Les gardes le mirent en joue de leur laser.
Stroth n’eut pas une once de pitié pour l’enfant. Du moins, pas après que celui-ci ait sauté dans la pièce adjacente, se soit emparé d’une dague pourpre dans un recoin pour de se l’insérer dans le bras.
Sous le regard ahuri du directeur, les yeux de l’être se convulsèrent, chacun de ses muscles se crispèrent à mesure que le sang remontait vers le manche de la dague. Ses lèvres hurlèrent silencieusement. Quand ce fut terminé, un sourire gelé apparut sur ses lèvres. Ses pupilles, d'un rouge sombre, avaient un nouvel éclat.
-Nesheban rae jeal Sinuariens, tesanis !
Alors, Stroth connu la peur. Armé de la dague rouge et noire, l’enfant bondit sur le premier garde. Il s’appuya sur son épaule, passant littéralement par-dessus. A l’apogée de son saut, il planta la dague à travers de la matière plastique de la jonction entre le casque et l’armure. Le sang pourpre gicla alors que l’enfant, l’Aliot à ce qu’avait lu Stroth était déjà rétabli par terre, un rictus horrible sur les lèvres. Le cadavre ne se renversa qu’un seconde plus tard, et ce fut à ce moment que les autres reprirent leur esprit. Ils étaient formés à beaucoup de situations. Mais celle-ci faisait partie des exceptions. Ils armèrent leurs lasers. Le temps qu’ils chargent, déjà le Démon Pâle occis une autre victime, un soldat au milieu de la pièce. En un instant, ce fut le chaos le plus complet. Les soldats étaient des tireurs d’Elites triés sur le volet, mais l’être, la chose se mouvait à une vitesse qui n’avait rien de commun. Les tirs éraflaient la coque interne du vaisseau, transperçaient les gardes ou les cadavres, mais pas un n’abattit l’enfant. Et, un par un, les soldats finirent égorgés ou transpercés.
L’ingénieur, prit d’un stupide élan d’héroïsme, s’empara d’un fusil sur un cadavre. L’être, qui avait terminé son ouvrage, sonda le scientifique. Il examina le visage du jeune Sinuarien. Celui-ci hésita, puis arma le laser. Stroth eut un mouvement de paupière. Ses yeux se voilèrent un instant, puis se rouvrirent une demi-seconde plus tard. L’Aliot, ombre pâle dans le cargo mal éclairé, tenait un pistolet dans la main gauche, probablement dégainé de sa ceinture. L’incandescence bleu du plasma traversa la chaire du scientifique, ne laissant derrière elle qu’un amas de membres disloqués. La tête du scientifique roula vers l’enfant. Elle était figée sur un rictus paniqué. Il avait vu la mort venir avant qu’elle ne frappe.
Stroth se força à réfléchir. Il avait devant lui un être qui venait d’abattre treize soldats d’élite et un autre homme, le tout sans être blessé. Il ne tenait pas énormément à la vie, mais il ne voulait pas mourir stupidement.
Alors, l’Aliot rengaina. Il se coupa superficiellement le poignet avec la dague. Quasi-instantanément, il retrouva son état « normal », si ce mot pouvait être employé. Il toisa Stroth durant quelques secondes toute en essuyant une de ses mèches blanches poisseuse de sang, puis continua en basic :
-Monsieur, je crains que tout ne fasse que commencer. Je vous demande de… (Il hésita), coopérer, je crois que c’est le mot juste. Je vous laisserai vivre, humain, si vous m’aidez.
Stroth réfléchi à toute vitesse. Interloqué qu’un enfant lui parle ainsi, il se souvint rapidement qu’il marchait en ce moment même dans un bain de sang.
Ou il mourrai ici, ou il aidait l’être et serai exécuté par la Nouvelle Inquisition dans… plus tard. La deuxième option semblait plus envisageable. Il improviserait par la suite.
-En quoi cela consiste-il ?, interrogea l’administrateur.
-Vous êtes plus raisonnable que votre scientifique. La génération Aliot précédant le Bouleversement a, fort heureusement été entraîné à survivre sans secours en région hostile. Mais je crains que la politique actuelle de cette planète, où la barge ne devait que faire escale, fasse que la situation est plus qu’hostile. Aidez-moi à partir en direction d’Atrain. Cela suffira.
Stroth accepta d’un mouvement de tête. Il mettrait l’être dans le premier vaisseau de sa compagnie en partance pour Atrain. Cela lui causerait bien moins de problèmes qu’il ne le craignait.
Mais rien ne devait être aussi simple. L’enfant sorti du vaisseau. À ce moment, il découvrit pour la première fois Sinuar. Le soleil radieux illuminait la plaine verdoyante de ses rayons. Une douce brise tiède faisait s’agiter les brins d‘herbes. Tout d’abord ébloui, l’Aliot aperçu le ciel vert émeraude, si pur.
-Quel dommage qu’un tel endroit soit souillé par de telles personnes. Je crains de devoir rallonger votre calvaire, humain. Je crois que je risque de rester ici quelques années de plus. Cette vermine, continua t-il en serrant les poings jusqu'à ce que ses phalanges deviennent encore plus blanches que précédemment, ne devrait pas exister. Apprenez-moi la langue de ce pays, humain. Dissimulez-moi, et je vous laisserai en paix. Mais n’oubliez pas, nous avons étudié la politique actuelle de votre planète. Si je vois un seul Inquisiteur, marins ou autre, je m’assurerai que vous mourrez avant moi.
Stroth grimaça, mais acquiesça. Il n’avait pas le choix. Il oublia un instant la Nouvelle Inquisition, avec laquelle il n’était pas particulièrement fervent.
-J’accepte à une condition, Aliot, déclara-il, son sens des affaires reprenant le dessus. Que vous me laissiez entrer en possession de toute technologie étrangère qui se trouve dans ce vaisseau.
-Si c’est pour votre usage personnel, je suis d'accord. Sinon, si vous comptez la commercialiser, il n’en est pas question. On commencera à se questionner sur la provenance de cette technologie. On enquêtera dessus, et les ennuis débuteront alors. Prenez ce que vous voulez. J’ai quelques affaires à réunir dans le cargo. Quand pouvions nous partir, et où allons-nous ?
-J’ai plusieurs demeures, mais je pense que la plus sûr est une base sous marine, dans laquelle je donne des réceptions pour les membres de la Nouvelle Inquisition, lorsqu’ils commencent à enquêter sur les comptes de mes sociétés. La dernière s’est déroulée il y a trois jours. Vous devriez y être tranquille. Combien de temps comptiez-vous rester ?
-Je l’ignore… monsieur ?
-Stroth. Eldran Stroth.
-Plusieurs années M.Stroth, cela est sûr. Le temps que je trouve ce que je veux sur cette planète. Ensuite, je disparaîtrai.
-Oh... Détail subsidiaire, j'imagine, ironisa-il. Comment justifier la perte des hommes qui me protégeaient ?
L’enfant examina les cadavres avant de déclarer :
-Ils étaient à vous ? Navré. Combien vous faudra-il de temps pour les remplacer ?
-Deux jours, pas plus.
-Bien, reprit l’Aliot. Ce cargo n’a jamais existé. Dès que j’aurai fini de préparer mes affaires, je le ferai sauter.
Les principes éthiques de Stroth furent profondément bafoué, et il hésita un instant à demander à l'Aliot s'il connaissait le sens du mot famille, ou proche.
Au lieu de cela, le directeur s’enfonça dans le cargoà la suite de l'Aliot.
-Vous voulez savoir ce qui vous serait utile ? J’ignore quelle sorte d’existence vivez-vous, M.Stroth. Que recherchez vous ? Si vous voulez la technologie du camouflage optique ou du réacteur, je pourrai vous l’expliquer une fois en sécurité. Si vous voulez simplement des objets à valeur militaire, Une dizaine des cadavres doit avoir un plasma et un activateur de champs de force à la ceinture. Pour le reste, j’en emporte probablement un exemplaire. Nous verrons cela plus tard, entendu ?
-Bien, je m’occupe d’enclencher les propulseurs du jet. Je me contenterai de ce que vous ramèneriez, si vous acceptez de les mettre à usage commun, évidemment.
L’Aliot fut assez long en vérité. Et pourtant, il ne portait qu’une sacoche de moyenne taille lorsqu’il sortit. Mais Stroth ne dit rien. Cet enfant avait, en moins de quelques minutes, perdu ce qui était probablement le reste de son existence. Il était seul en territoire hostile.
-Au fait, M.Stroth. Mon nom est Selath Idaho, fils de Jeretlan Idaho, déclara-il comme une sorte de confidence. Appelez-moi Idaho.
Immédiatement, il appuya presque rageusement sur un bouton à un bracelet de son poignet gauche. Le vaisseau se compressa avant d’imploser, sans nul bruit ni explosion.
Une larme coula de l’œil inexpressif de Selath.
-Je pensais ne pas pouvoir perdre plus que ce qu’il était déjà. Je me trompais. Quelle ironie. Des centaines de milliards de vies se sont éteintes, plus de douze fois la populations actuelle de Sinuar. Et pourtant, personne n’en a rien su. N’est-ce pas amusant, M.Stroth ?
Celui-ci ne répondit pas. Il était trop occupé à trouver une excuse pour justifier la perte de quatre chasseurs et de treize gardes au personnel de son vaisseau de croisière.

Je viens de me souvenir de l'existence de ce topic... J'éditerai ce post demain ou samedi en RP, la trame principale de l'histoire est enfin finie (parce que c'est bien beau un Aliot grosbill qui a la classe, mais c'est pas tout!).

et alors hein ? cet edit ? =p

Ben... Flemme^^

Bon, j'ai quatre jours avant de recevoir Baldur's Gate II, donc je vais abandonner temporairement mes autres chroniques pour celles de Selath.

Et oui, j'ai trois forum RP à gérer mwa^^

Alors, tout d'abord, je vais perpétuer la tradition de mon frère en mettant une artwork de temps en temps:

Celle-ci est celle qui représente le mieux Selath Idaho comme je l'imagine. En fait, c'est plutôt lui qui m'a donné envie de faire Selath à son image, donc évidemment, c'est la version la plus proche de ma pensée



Sinuar: 170 ap Nouveau Messie (NM) :


Stroth s’affaissa sur son fauteuil de contrôle. Il s’était assis des centaines de fois à cet endroit afin de superviser les actions de son empire commercial. Mais cette fois, ce n’était pas sur l’écran géant que ce fixait son regard. Il méditait sur sa propre vie. Les scanneurs de la Nouvelle Inquisition avaient scanné le vaisseau de croisière. Eldran avait cru sa vie terminée à cet instant. Mais l’être pâle avait souri devant le scanneur et n’avait pas bougé devant les rayons. La sonde n’avait repéré qu’un Androïde de provenance étrangère, et avait effectué une vérification des comptes de Stroth afin de savoir s’il n’avait outrepassé les lois en achetant du matériel non-Sinuarien. Finalement, l’homme d’affaires s’en était tiré avec une amende doublée d’un avertissement.
Il n’avait posé aucune question à l’Aliot, trop pressé d’atteindre une chambre où le personnel ne viendrait jamais. Mais maintenant qu’il réfléchissait à l’avenir, aux risques que lui faisait prendre cet enfant… Non, il ne pouvait l’appeler enfant. Il le revoyait encore, les genoux immobilisant le cou du garde, la dague rougie de sang… C’était un monstre, lui et tous les gens de son espèce !
Il avait hésité longtemps avant de se décider à le livrer aux services de l’Inquisition.
« Ce n’est qu’un gosse, auquel on a volé son enfance.»
Ses vaisseaux personnels étaient appareillés à quelques mètres. Une fois à bord, il pourrait dénoncer cette abomination sans risques.
« Peu importent. Ce n’est pas en le cachant à mon gouvernement que je le disculperai de ses crimes. Son seul espoir de repentir est la mort »
Alors qu’il pénétrait dans l’appareil, il décela une odeur familière. Il chercha un instant ce qu’elle lui évoquait. Ne trouvant pas, Eldran s’en alla enclencher le moteur dans le cockpit. L’odeur avait disparu. Il interrompit immédiatement le processus de décollage. L'effluence venait des moteurs. Il en était certain. Stroth se rendit à l’arrière-salle de détente. Un panneau coulissant s’activa à son entrée dans la pièce, révélant un écran géant.
-Scan des moteurs.
Rien. Ils n’étaient pas sabotés. Une intuition lui vint alors.
-Projection holographique des appareils.
Dans un 3D parfait, la réplique des propulseurs s’afficha devant lui. Stroth l’examina et décela ce qu’il cherchait. Un tube remplit d’une substance verte. C’était l’explosif qu’avait utilisé l’Aliot pour détruire son propre vaisseau.
-Le fils de…
L’homme d’affaire se réprimanda immédiatement pour ce juron. Mais il y avait de quoi être grossier : L’énergie émanant du moteur aurait activé la substance, faisant alors imploser le vaisseau et ses occupants.
Eldran Stroth retourna dans sa chambre en remuant de sombres pensées, puis décida de tromper l’ennui en discutant avec l’être. Il ne trouva pas d’idée plus stupide que celle-ci. Il s’exécuta donc et se dirigea vers les salles d’invités où il avait installé l’Aliot.
La porte s’ouvrait sur commande vocale. De mauvaise humeur, il lui murmura un « ouverture » rageux. Selath se trouvait devant la grande baie vitrée centre de l’appartement meublé à l’ancienne, dans un « style XIXe » de la première planète humaine, dont le nom était perdu depuis des siècles, admirant la vue de Sinuar. Ce ne fut qu’en approchant que Stroth remarqua qu’il était nu. Il détourna pudiquement le regard, mais quelque chose le gêna. Il rouvrit les yeux, non sans se promettre de faire un pèlerinage prochainement pour purger ses fautes. La peau blanche contrastait avec des fines barres métallique noir, épousant les formes du corps de l’enfant, formant une espèce d’armure protectrice. Eldran éprouva le besoin de poser une question intelligente à propos de cette combinaison.
-C’est quoi ce truc ?
Selath Idaho sursauta. La porte donne directement sur la baie vitrée, et le Sinuarien était arrivé dans le dos de l’Aliot, qui ne l’avait pas entendu. Il se retourna instantanément.
-Humain… Je n’imaginais pas que votre peuple manquait à ce point de décence. Prévenez à l’avenir.
Eldran Stroth ne répondit pas, incitant Selath à répondre.
-C’est un exosquelette léger de mon peuple. Il décuple la force de son possesseur. Vous n’imaginez pas je sois si… inhumain , déclara-t-il avec un rire léger, que je puisse tuer une douzaine d’homme seul.
La nudité ne semblant pas gêner Idaho, Eldran se força à fixer la tête de son interlocuteur et continua la discussion.
-Votre peuple était donc si avancé qu’il avait des machines pour augmenter les performances physiques ?
-Ce n’est qu’une broutille. Si je vous ai parlé d’exosquelette léger, c’est parce qu’il y en a… qu’il y en avait des lourds. De véritables machines de guerre en vérité, mesurant dans les trois mètres… Dix d’entre eux auraient pu réduire l’intégralité de votre flotte en cendre.
-Vous êtes donc quasiment invincible ?
De nouveau le même rire.
-Séparé des batteries d’Ama Oxi Ori, l’exosquelette tiendra encore trois, peut être quatre jours à condition de ne pas le faire trop fonctionner. Rien n’est éternel, comme le prouve la disparition de mon peuple…
La voix étranglée par l'émotion, Selath se tut. Eldran, empathique malgré lui, embraya la conversation sur un autre sujet.
-Que comptez vous faire ici, Idaho ? Pourquoi ne pas avoir embarqué pour Atrain ?
-Dans l‘immédiat, je comptais vous regarder mourir dans l’implosion de votre vaisseau, fuir à bord d’un second, et aviser ensuite.
Stroth eut un bref rire. Il ne savait pourquoi, mais sa colère s’était apaisée depuis qu’il discutait avec l’Aliot.
-J’ai en effet fort apprécié votre cadeau. Je voulais dire, que comptez vous faire sur le long terme.
Selath se retourna, contemplant les deux soleils couchants Sinuariens.
-J’ai quelque chose d’important à faire. À restaurer. Je le dois bien à ceux qui sont morts.
Même si il fixait alors les cheveux blancs laiteux d’Idaho, Eldran aperçut la larme qui allât s’écraser sur le parquet.
-Il y avait quantité d’Aliots contemporains qui avaient entrepris ce que je compte moi-même entreprendre. Mais tous, jusqu’au dernier, avaient quelque chose. Un don. Une aptitude particulière. Mon propre frère avait une dérivation neuronale lui permettant d’analyser plus vite qu’un ordinateur. Je sais qu’il arrivait à distordre les plans à son avantage. Un autre, un chercheur, était doté des technologies de pointe de son laboratoire. Enfin, un dernier possédait une espèce d’aterfact… un œil… Je connais toutes ces histoires par cœur, racontées de la bouche du héros en question. Mais moi, qu’ai-je pour m’aider ? Je suis seul, en territoire hostile, loin de toute source de technologie, disposant en tout et pour tout de quelques objets venant d’une barge de rescapée.
Eldran Stroth fut repris par cette irrésistible envie de faire un commentaire intelligent.
-Bah…
Selath sourit tristement, à moitié retourné.
-J’allais me mettre au lit. Je suis fatigué. Pouvez-vous me laisser ?
-Bien sûr, s’écria le Sinuarien, de nouveau gêné.
Il s’éloigna et s’apprêta à sortir, s’arrêtant juste derrière la porte.
-Quelle est cette tâche que vous voulez accomplir ?
Idaho avait toujours le même sourire, remarqua Eldran alors que l’Aliot reproduisait ce rictus.
-Fermeture.
Ce fut le dernier mot que Stroth entendit de Selath ce soir-là. La porte coulissante à air comprimé se referma silencieusement.

"La salle est pleine" remarqua silencieusement Stroth, les deux mains posée sur le métal de l'auditoire. Il avait eu peur que personne ne vienne.
La pièce mesurait quasiment six cents mètres carré. C’était un ancien gymnase datant de l’époque post-colonisation, durant laquelle on estimait que l’acier était esthétique. Les murs étaient recouverts de diverses affiches glorifiant l’Inquisition. Les seuls points de lumière consistaient en une énorme baie vitré, ainsi que plusieurs petites fenêtres sur le toit.
"Il est temps de savoir si ce gosse est vraiment un génie ou un démon"

Quatre milliers de personnes se pressaient devant lui. Et, Eldran le savait, des centaines fréquences d’holofosse indépendantes et secrètes allaient redifuser ce discours dans toute la planète, voir même à Atrain.
Angoissé, il tenta de se remémorer sa dernière entrevue avec Selath. Cela le rassura, d’une certaine manière.

-Tout va bien se passer, l'avait rassuré l'Aliot. Il n'y a eu aucun parti adverse depuis plus de soixante ans. Nous avons l'avantage de la surprise et de la légalité. Il faut dire que c'est la première fois que je vois une dictature associée à un pluralisme politique...
-Personne n'ose se dresser. Il faudrait être fou pour essayer, avait répliqué Eldran.
-Ou démoniaque, avait aussitôt rétorqué l'albinos, accompagnant ses paroles du sourire adéquat.
-Notre marché était que je vous couvrais quelques années, et vous vous enfuyez le plus tôt possible. Je ne pensais pas avoir à me sucider ainsi.
-Vous avez tenté de me dénoncer aux autorités locales. Ca m’aurais tué aussi sûrement que si vous aviez braqué une arme sur ma tempe avant de m’abattre.
-Même avec un fusil à plasma, je n’aurai pas tiré assez vite, vous le savez bien, ironisa l’homme d’affaire.
-Il n’empêche que vous avez une dette envers moi. Je ne vous demande pas grand-chose.
-Juste de m’exposer aux foudres du Gouvernement !
-Juste de prononcer un discours ! Vous vous devez de le faire si vous aimez réellement Sinuar !
-Et, illustre messie, pensez-vous vraiment qu’il me laissera le prononcer ? Avant d’avoir prononcé plus de trois mots, je serais plus troué que le vaisseau mère de l’Amiral Sugardian!
-De qui ?
-Du premier malade qui a osé se lever contre le régime. Vous préparez un tel plan sans même savoir ce qui est arrivé au dernier à l’avoir essayé ?
-Ce que je sais, Stroth, c’est que personne ne s’est opposé à lui depuis plus de soixante ans. C’est énorme pour une dictature, surtout d’un monde aussi peu développé que le vôtre ! Ces trois derniers jours, je suis allé vérifier les registres des forces de sécurité…
-Vous avez fait quoi ?! Vous tenez à mourir ? Vous avez piraté les registres ?
-Pirater ? Je ne pense pas que ce soit le terme adéquat. Surtout quand le mot de passe représente le nombre de maîtresses du Bien-Aimé Fondateur.
-Cet homme se considère comme un messie, il est prêt à brûler le premier ayant trompé sa femme… Mais malgré tout, cela ne m’étonne guère.
-Je disais donc, que pirater un mot de passe à cinq caractères… continua désespérément Selath Idaho.
-Tant que ça ? Je ne le savais pas aussi vigoureux !
-…pirater un mot de passe à cinq caractère ne pouvait pas être considéré comme illégal, la situation considérée. Enfin, illégal si, mais je veux dire…
-Ne vous enlisez pas. Si demain on me convoque au siège de la Fondation, je ne m’étonnerai pas. Qu’avez-vous donc vu qui justifie ces risques ?
-La liste des armées. C’est assez impressionnant. Ils disposent de plus de 97% de sondes destinées à surveiller la population.
-Nous serons donc aussitôt repérés…
-Et moins de 3% de forces armées. Ne comprenez vous donc rien, Eldran ? Ils ne pourront endiguer un soulèvement armé !
-Et vous, vous ne pourrez le provoquer ! Il vous a fallu trois semaines pour me convaincre de vos idées. Trois semaines ! Vos paroles, mes paroles n’atteindront même pas leur conscience ! Ce sont des fanatiques, Selath, comme je l’étais moi-même auparavant ! Vous ne comprenez pas que cette dictature s’est instaurée par un vote !
-Il existe toujours des cellules de résistances, même si elles sont suffisamment cachées afin d’échapper aux moyens de contrôle du Gouvernement. J’en ai contacté une.
-Vous ne savez pas qui c’est ! C’est probablement un piège !
-…qui s’est arrangé pour nous obtenir une salle d’auditoire.
-Nous allons tout deux mourir !
-Je leur ai donné les coordonnées d’une de vos bases terrestres. J’ai vérifié, il n’y a eu aucune infraction. S’ils avaient été des traîtres, une horde d’Inquisiteurs se seraient précipités là-bas afin de nous exécuter. Cela suffit pour les disculper à mes yeux. Maintenant, cessez de m’interrompre, humain !
Ce terme, particulièrement péjoratif dans la bouche de Selath, avait eu l’effet escompté : Eldran s’était tu, et attendait la suite.
-Officiellement, c’est une conférence sur une proposition de « remodélisation du Gouvernement ». Officieusement, c’est la même chose, mais plus… virulente. Forcement, les personnes qui se rendront à cette conférence seront celles ayant des griefs envers le régime.
-Raison pour laquelle le Gouvernement se tiendra prêt. Il réagira immédiatement !
-Peu importent ! Les gens penseront qu’une opposition est en cours, même si ce ne sera pas le cas ! Je ne vous demande même pas de mener la résistance. Celle-ci s’organisera d’elle-même.
-J’ai peur, avança Eldran après un bref silence, que vous ne surestimiez les Sinuariens, et que vous sous-estimiez le Bien Aimé Fondateur. Mais il est une chose dont j’ai davantage peur. C‘est de vos intérêts dans cette affaire. Vous ne connaissez pas cette planète. Et pourtant, vous êtes prêt à renverser son gouvernement pour libérer des citoyens qui se pensent déjà libres !
Il avait insisté sur ces deux derniers mots afin d’attirer l’attention de l’Aliot.
-Pourquoi, murmura-il en contemplant le ciel émeraude ? Simplement parce que j’aime cette planète.
-Cela vous suffit donc ? Quel genre d’être pouvez-vous être ? En trois semaines, vous avez appris à maîtriser ma langue, vous avez échappé à des scanners en vous tenant immobile, je vous ai retrouvé deux fois au milieu de vos draps ensanglantés, une dague plantée dans votre avant-bras ! Sans compter le massacre de mes hommes ! Et maintenant, vous allez bouleverser tout un régime ! Je répète, qu’êtes-vous ?
-Je suis un Aliot.

La lumière s’assombrit. Les spots se tournèrent vers Eldran Stroth.
L’homme d’affaire reconvertit en politique malgré lui serra si fort ses poings que les phalanges en blanchirent.
Il était temps.
« Pour Sinuar. »

« Sinuariens ! Je suis ici afin d’enrayer la déchéance, le gouffre béant s’ouvrant sous nos pieds et auquel nous tendons vigoureusement les bras ! Je suis ici afin de vous prévenir. Ce n’est pas avec jouissance que je me présente devant vous. Car je suis ici pour parler de haine. Pour parler de changement. »

Ce fut le premier signal. Un tir laser tiré depuis un immeuble avoisinant fusa droit vers la tête d’Eldran, brisant net une fenêtre. Un champ de force entoura Stroth alors que la ceinture-bouclier s’activait. Le laser s’arrêta à moins d’un mètre de l’humain, puis s’estompa lentement. Ceux qui assistaient au discours hurlèrent. Mais à aucun moment l’un d’eux ne songea à fuir ou à détacher son regard du conférencier. L’Aliot avait gagné la première manche. Il avait captivé la foule par son discours.
« Ils ont déjà installé des snipers ? La ceinture a sept minutes d’autonomie. C’est trop court… Le bouclier lâchera avant la fin du discours », pensa Eldran tandis qu’il reprenait.
« En effet, seul un changement radical peut nous sauver de la fin vers laquelle nous progressons à grands pas. Trop longtemps, mes frères, on vous a privé de vos droits les plus saints. Soixante ans. Soixante longues années durant lesquelles chacun d’entre vous a vécu dans la crainte de mourir à chaque instant. Durant lesquelles on a massacré vos amis, vos proches sous prétextes qu’ils étaient différents. Durant lesquelles vous avez été jugé criminels pour avoir réclamé votre dû. »

Cette partie du discours était la plus délicate. L’auditoire allait faire un « rejet » de ses paroles. Il fallait qu’il attaque sur un autre point.

« Cette planète, par son autarcie forcée, a été coupée des autres civilisations. Car il existe des mondes où il n’en ait pas ainsi. Ce pseudo-gouvernement essaie de vous faire croire que toutes ces privations sont nécessaires pour votre développement. Alors qu’en réalité, il est avéré que d’autres civilisations sont technologiquement bien plus avancées. En ce jour, ce retard n’a d’atteinte que votre confort de vie. Mais demain, le jour où une de ces superpuissances externes, dont je viens de vous montrer un échantillon technologique, continua-t-il en montrant la ceinture, se tournera vers Sinuar. Le jour où elle convoitera votre planète, alors des cohortes d’androïdes possédant des armes inimaginables viendront s’emparer de vos foyers, de vos femmes, de vos enfants, de vos vies.
« Ce gouvernement fait plus que de vous oppresser. Il vous met en danger. En l’honneur de vos familles, de votre patrie, je vous annonce qu’un groupe armé a pris les armes.
Pour Sinuar, levez-vous ! »

À peine eut-il terminé le discours qu’un chasseur en vol stationnaire s’immobilisa devant la grande baie vitrée, située derrière lui. Tandis que la foule fuyait vers l’entrer, Stroth se demanda si le bouclier pouvait tenir face à la puissance de feu d’un chasseur.
Il regarda sa montre. Une minute d’autonomie. Il était en sécurité, et les enregistreurs étaient toujours en place. Tous les Sinuariens allaient voir ça.

« Ca va donner un sacré spectacle, dans tous les cas… », pensa Eldran.

Il essaya de s’imaginer en flaque sanguinolente sur le sol. Il étendit ses bras, incitant le vaisseau à tirer. Celui-ci ne se fit pas prier. Quatre mitrailleuses lourdes firent feu en même temps. Toutes les balles s’arrêtèrent à quelques centimètres d’Eldran Stroth, qui avait réduit le rayon du champ de force afin que la scène soit plus impressionnante.

-Selath, vous pouvez enclencher les cellules de Vibranium, murmura-il.

Stroth ferma les yeux et les couvrit de sa main juste à temps : Idaho avait enclenché les flash bang et les fumigènes situés au plafond.

Une voix dans son oreillette lui parvint :

-Les cellules de Vibranium ont été lâchées. Ca va prendre encore huit secondes.

Eldran compta. À six, il se recroquevilla. À huit, les cellules de Vibranium avaient totalement attaqué le métal. La surface sur laquelle se trouvait Eldran se détacha, l’entraînant dans une chute de trois mètres. Il sentit quelque chose craquer à l’atterrissage, et retint de peu un hurlement.

-Selath, je vous avais demandé de mettre quelque chose pour amortir la chute.
-‘pas pensé. Désolé.

Grommelant, l’homme d’affaire jeta un œil sur son magnifique costume, qui ne ressemblait alors plus à rien.

-Vous me devez soixante mille arkh, reprocha Eldran Stroth à l’Aliot.
-J’y penserai, quand je serai maître de Sinuar !

Pendant un moment, Eldran se demanda si Idaho plaisantait vraiment. Puis, rappelé à la réalité par les cris des soldats s’infiltrants dans la salle, trois mètre au-dessus, il se releva péniblement et s’élança vers la porte coupe-feu la plus proche. Si Selath ne s’était pas trompé, il se trouvait maintenant dans les anciennes réserves du gymnase. Au quatrième couloir, il déboucha sur le parc public, situé en face de la salle d’audience. Normalement, l’Aliot l’attendait avec un véhicule. Stroth chercha quelques secondes Idaho, avant qu’une voiture ne lui lançât un appel de phare. Il s’élança immédiatement, s’engouffrant à l’intérieur. Une voix l’acceuillit :

-Quand vous m’avez dit que vous pouviez obtenir un véhicule pour que je vous fasse partir, je pensais à un chasseur, pas à un « quatre-roues ».

Eldran comprit pourquoi il n’avait pas vu l’albinos du premier coup : Les cheveux teints en noir, la peau assombrie et des lentilles changeant la couleur de ses yeux, l’Aliot était méconaissable.

-On a pas le droit de posséder des vaisseaux dans les agglomérations. Vous saurez conduire ?
-il faudra bien. Nos « amis » peuvent nous cacher si nous atteignons la place du marché sans être poursuivit.
-Et c’est possible ?
-Non, pourquoi ? sourit Selath
« Toujours le même sourire… »